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Un homme, une femme et des néons

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Le métro est un haut-lieu de consommation d’images fixes. Dans les rames elles-mêmes, sur les quais, dans les couloirs, surmontant l’entrée des stations, les affiches publicitaires exposent les usagers à un kaléidoscope de slogans, de montages photographiques, de titres de film, de noms de marques, de unes de presse… Plus qu’au musée, le métro est le lieux où se forge la culture visuelle de la plupart des habitants d’Ile de France. Pourtant on ne regarde que rarement ces affiches, ne leur accordant qu’une attention discrète sous les néons blafards des stations parisiennes. Comme ce dimanche matin, station Sentier, où en empruntant le couloir qui m’amène à la sortie je croise six panneaux publicitaires. Et je m’arrête, surpris par ce que je viens de voir, retourne sur mes pas pour confirmer ce que j’avais ressenti : une incroyable uniformité entre ces quatre visuels répartis sur ces six panneaux.

En effet sur chacun d’entre eux, sont réunis un homme et une femme au sein d’un couple que l’on devine heureux avec un petit bémol cependant pour Matt Damon et Cécile de France sur l’affiche du film “Au-Delà”. L’alignement de ces quatre couples sur les murs de ce couloir relève plus du clin d’œil et ne semble laisser finalement place à aucune démonstration lumineuse sur la grande fabrique des images, d’autant que trois affiches concernent des films et sont donc construites sur le même ressort à savoir les personnages principaux isolés et occupant la majeure partie de l’image, encadrés du nom des acteurs, du titre du film et de la date de sa sortie.

Mais la quatrième image, elle, concerne un titre de presse : il s’agit de la couverture du n°2000 du Point consacré aux Français. Et le visuel utilisé est en tout point comparable avec les trois autres : un homme, une femme, unis en un couple qui respire le bonheur. Seuls les codes changent : ils jouent la spontanéité en une sorte de photo volée qui évoque une autre photographie de baiser prise par Robert Doisneau devant l’Hôtel de Ville de Paris. Bien entendu cette photographie est vraisemblablement posée et ses protagonistes sont dirigés par le photographe comme le sont Virginie Efira et François Xavier Demaison quand ils posent pour l’affiche de leur dernier film.

Je vois une double conclusion à cette juxtaposition en apparence anodine de quelques affiches publicitaires dont cette une du Point. Tout d’abord, il est sans doute illusoire de vouloir cloisonner les domaines dans lesquels sont utilisées les photographies aujourd’hui. Les images, et notamment la façon dont elles sont construites, circulent en permanence et un photographe est soumis, comme n’importe quel citoyen, de façon volontaire ou non, à un flux constant d’images qui influencent de façon mécanique son regard sur le monde et donc in fine sa façon de travailler. Qu’il ait une carte de presse ou non, qu’il se considère comme artiste ou non, qu’il ait une activité commerciale ou non. Ensuite ce clin d’œil visuel mine encore un peu plus le mythe du caractère purement documentaire des photographies en une des hebdomadaires d’actualité. Certains invoqueront sans doute la photographie de stock ou d’illustration pour excuser cette uniformité entre une une de presse et l’affiche d’un film grand public. Or comme le souligne le crédit à droite de l’image en une du Point, il s’agit d’un travail de commande réalisé par la photographe indépendante Axelle de Russé pour l’hebdomadaire à l’occasion de ce numéro consacré aux Français, soit non pas une image d’illustration prise chez Getty mais bien une photographie de photojournaliste commandée par des journalistes. Elle n’en est pas moins prise dans les mailles de la culture visuelle. Il est parfois bon de regarder les images dans le métro. Même sous des néons blafards.


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